Aujourd’hui pour un particulier il est très difficile de s’y retrouver parmi les différents discours sur la hiérarchie et la dominance, il est donc temps de faire un point !

Ces 3 notions sont aujourd’hui très floues et il y a des débats très houleux entre professionnels du monde canin. Revenons d’abord sur la définition de ces 3 notions :

  • Domination : « action de dominer, d’exercer son autorité ou son influence sur le plan politique, moral etc. » « pour les hégéliens, rapport du maîtres à son esclave ; pour les marxistes, exploitation et oppression d’une classe sur une autre » (Larousse).
  • Hiérarchie : « dans une collectivité, organisation qui classe les personnes, leurs états, leurs fonctions selon des échelons subordonnées les uns aux autres, chaque échelon correspondant à un degré de pouvoir, de responsabilité, de compétence, de dignité etc, supérieur à celui de l’échelon immédiatement inférieur. » (Larousse)
  • Leader : « Personne qui, à l’intérieur d’un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement » (Larousse)

En tant qu’humain, vivant dans un monde où l’image de la hiérarchie ne se détache pas de la notion de domination, du patron, agaçant, injuste voir parfois incompétent, parler de hiérarchie devient de plus en plus mal vue et mal interprété alliant le terme de hiérarchie à un aspect violent, intimidant et oppressif de la domination.

Mais si on lit la définition de la hiérarchie on constate qu’il n’est jamais question d’oppression, d’intimidation ou de violence. Un groupe sociale quelque qu’il soit (humain animal etc) sera toujours régit par une notion de hiérarchie pour l’organiser et permettre la pérennité du groupe. Dans une famille avec des enfants, les parents les dirigent car ils savent ce qui est bon pour eux, ils vont leur interdire ce qui est dangereux et leur fixer des règles, fort de leur expérience d’adulte pour leur assurer la sécurité et les aider à intégrer notre société, c’est ici une hiérarchie et les enfants obéissent à leurs parents, cependant il n’est heureusement pas question de dominer les enfants, de les opprimer, de les violenter. Il en est de même pour l’éducation de son chien, s’ajoute en plus le fait que le chien étant une espèce différente, avec des codes complètement différents des nôtres qui sont « forcés » de vivre avec nous humains dans notre monde conçu par et pour les humains. Nous avons donc le devoir d’éduquer nos chiens correctement pour leur permettre de vivre le mieux possible dans ce monde d’humain et donc de lui fixer des règles. Exemple : lui interdire de sortir comme un fou du coffre ou de la maison pour qu’il ne se fasse pas écraser par une voiture en courant hors de la maison et sur la route.

Mais alors d’où vient cette habitude de vouloir dominer son chien ?

Le loup est un animal qui a très longtemps jusque dans la deuxième moitié du XXème siècle persécuté, le transformant en un animal phobique de l’homme et le fuyant pour sauver sa vie. L’observation de vraies meutes de loup en liberté était impossible, ce sont donc des loups en captivités élevés dans des réserves ou des meutes constituées de loups adultes qui ont été forcés à vivre ensemble qui ont été observés. Dans la nature, une meute de loup est constituée sur un schéma familiale, il y a les deux parents reproducteurs ainsi que leur progéniture qui quitte la meute entre leur 9 mois et leur 3 ans. Quand un jeune trouve son partenaire ils fondent leur propre meute avec leurs petits. Il arrive qu’un post-reproducteur reste dans la meute d’une de ses progénitures mais il ne prendra plus de décision impliquant la meute. Il peut arriver également qu’une tante ou qu’un oncle fasse partie de la meute ou plus rarement lorsque l’un des loups reproducteurs décède, un loup étranger du sexe opposé peut être inclus dans la meute pour le remplacer et une progéniture de ce dernier sera autorisé à se reproduire avec son beau-parent pour permettre le renouvellement de la génétique de la meute. Il n’y a qu’une très faible proportion de meutes avec plusieurs reproducteurs qui ont été observés et les reproductrices sont toujours apparentées, la mère et sa fille ou la mère et deux de ses filles, les partenaires des filles étant de mâles étrangers. Un seul cas de meute comprenant deux mâles adultes n’a été jusqu’à ce jour observé (par Haber en 1977) : la meute était notamment constituée d’un « alpha » (entendez ici le mâle reproducteur) et un « bêta » (ici un descendant ou un mâle étranger) et le « bêta » dirigeait la meute lors des déplacements et décidait des temps de repos pendant 8 à 9 ans.

En captivité, ce sont des loups sans affiliation forcés à vivre ensemble qui sont observés et c’est également ce que l’on peut observer lors des rencontres canines qui se font quotidiennement avec nos chiens qui en croisent d’autres dans la rue ou en balade collective. Il faut qu’ils apprennent à vivre ensemble et à se fixer chacun leur limite et parfois l’entente est difficile voire impossible. L’avantage lors de nos rencontres canines c’est que nos chiens ne sont pas forcés de rester avec le congénère avec lequel il ne s’entend pas pour le restant de leur vie…

Et là est toute la différence. Pour résumer simplement prenons une image humaine : imaginons une époque de famine, une famille souffre de la faim, l’un des membres de la famille obtient un morceau de pain, s’il est gros, la famille va le partager équitablement pour que tout le monde mange. Imaginons maintenant qu’une personne se retrouve sur une île déserte, sur cette île il y a quelques autres personnes absolument inconnus qui ne sont pas forcément très amicales, cette personne trouve un morceau de pain, il y a dans cette situation plus de chance que des conflits éclatent à cause de ce morceau de pain dans cette situation que dans la première.

Et bien c’est exactement ce que les chercheurs du début du XXème siècle ont comparé faute de moyen. Cependant de ces théories exposées jusque dans les années 70 (puis démontrées erronées depuis les années 80) sont encore aujourd’hui le fondement de nombreux principes d’éducation canine qui ont été baptisés et rebaptisés encore et encore par des professionnels du monde canin soit pour avoir l’air d’avoir inventé quelque chose soit pour « noyer le poisson » et faire croire à leurs clients qu’ils ne parlaient pas de la même chose.

Or dans une meute de loup, la priorité sera la survie du groupe, une hiérarchie « familiale » sera instaurée et comme nous l’avons vu plus tôt la meute est dirigée par les parents qui élèvent leurs petits, l’autorité leur revient, du fait de leur plus grande expérience ils seront les plus aptes à assurer la sécurité du groupe dans la tanière, lors des déplacement, diriger la chasse et gérer le partage de la nourriture, et cette autorité est naturelle et n’est presque jamais contestée par aucune progéniture. Le mâle et la femelle reproductrice vont quant à eux se partager les tâches de travail.

– les déplacements : quand les chiots sont encore petits seul le mâle sort de la tanière, à mesure qu’ils grandissent la femelle l’accompagne de plus en plus. Lors d’une observation d’une meute d’Ellesmere par D. Mech, sur 29 déplacements de la meute, le mâle a été 22 fois l’initiateur et la femelle 7 fois.

– les voyages : lors des voyages sur 70 temps d’observations le mâle menait la marche 46 fois et la femelle 24 fois (D. Mech). Si la femelle est en Oestrus la femelle sera devant et le mâle derrière elle pour la protéger des autres mâles et pour être prêt pour la reproduction.

– la chasse : ce sont également les parents reproducteurs qui initient et dirigent la chasse d’un gros gibier, cependant tout membre de la meute expérimenté peut lancer une attaque sur un petit gibier seul.

– l’approvisionnement en nourriture qui comprend la chasse mais également la livraison de nourriture à la femelle et aux petits, durant la première semaine après la naissance des petits c’est le mâle qui se charge de l’approvisionnement en nourriture car la femelle restant auprès de ses petits elle dépend du mâle pour se nourrir. Lorsque le mâle revient de la chasse et s’approche de la tanière la femelle se précipite sur lui avec sollicitude, il laisse tomber la nourriture ou la femelle lui arrache de la gueule avec le consentement clair du mâle ou alors si la nourriture est dans son estomac il la régurgite et la femelle consomme le contenu. « Lorsque la meute n’a pas de petit, le mâle joue un rôle majeur dans l’alimentation des jeunes adultes. Une fois j’ai vu le couple reproducteur laisser 3 jeunes à leur site de rendez-vous et parcourir 9,5km, où le mâle a ensuite déterré une épaule de veau de bœuf musqué et l’a livrée à la femelle reproductrice. Elle en a consommé puis est immédiatement retournée vers les jeunes et leur régurgité ». Cependant le leadership est difficile à évaluer : « Le mâle reproducteur fait-il preuve de leadership parce qu’il chasse et rapporte de la nourriture à la femelle reproductrice ? Ou la femelle reproductrice fait-elle preuve de leadership parce qu’elle prend en charge la nourriture du mâle reproducteur ? » (D. Mech) De plus si la nourriture vient à manquer, la priorité sera donnée aux jeunes chiots ainsi qu’à la femelle gestante ou allaitante où encore aux loups blessés ou affaiblis.

– faire face aux intrus d’une autre espèce : C’est plus souvent le mâle reproducteur et les autres mâles plus âgés qui sont les plus féroces dans la protection de la tanière bien que la femelle, surtout si elle a des petits, sera plus susceptible de faire face à une intrusion. L’expérience du loup entrera également en jeu. Mech a observé lors d’une intrusion d’un bœuf musqué qui rôdait près de la tanière que tous les loups l’ont entouré avec enthousiasme et l’ont approché à plusieurs reprises alors qu’il se tenait à l’entrée de la tanière où les chiots étaient restés. Au bout d’une heure, durant laquelle ils n’ont pas réussi à faire partir le bœuf, la femelle a commencé à aboyer et hurler, les membres de la meute l’ont suivie et se sont positionnés assis ou allongés de sorte qu’ils étaient tous à 5 m les uns des autres à l’ouest de la tanière, la femelle la plus proche du bœuf musqué mais toujours à 10 m de lui tout en continuant de hurler. Ici, comprenant que l’entourer ne faisait que le garder sur place, elle a changé de stratégie pour faire partir le bœuf à l’est de la tanière

– faire face à un intrus congénère : ce sont les deux loups reproducteurs qui vont faire face au loup étranger avec la même intensité. A l’extérieur, c’est plus souvent le mâle qui se dirigera vers les hurlements du loup étranger. – prendre soin des petits : c’est la femelle reproductrice qui prendra toutes les initiatives concernant les soins apportés aux chiots et qui y passera le plus de temps. Cependant le mâle comme tous les autres membres de la meute participeront à leur alimentation, leur jeu et leur éducation.

Il faut également ajouter et ce n’est pas sans importance que le chien n’est pas un loup ! N’appliquons pas des théories obsolètes basées sur des observations non pertinentes de loups (Canis Lupus Lupus) sur nos chiens domestiques (Canis Lupus Familiaris).

En ayant connaissance du vrai fonctionnement d’une meute de loup, on se rend compte de la bêtise que représentent les « lois de la meute » qui sont souvent les suivantes :

– le chien ne doit pas monter sur le canapé et le lit, un chien qui monte sur le canapé n’est pas un chien qui veut dominer, il est un chien qui veut du confort et du contact avec son maitre. Si les règles ne sont pas claires que parfois on accepte qu’il y monte et que d’autre fois on lui interdit le chien ne comprend plus et il se peut qu’il commence à faire de la protection de ressource sur le canapé. D’où l’intérêt de lui apprendre à monter et à descendre sur commande.

– le chien ne doit pas manger avant nous, comme nous l’avons vu tôt les leaders ne mangent pas forcément les premiers, si la nourriture est peu abondant, ce sont les chiots et les membres de la meute fragiles qui mangeront en priorité.

– le chien ne doit pas rester dans les passages ou encadrement de porte de peur qu’il ne contrôle les allées et venues de ses maitres. Dans la nature les parents reproducteurs ne pourront pas forcément surveillez tous les mouvements des membres de la meute, par contre ils pourront choisir un endroit qui permettra de surveillez les intrusions. Un chien qui se couche devant la porte d’entrée risque bien plus de le faire pour surveiller les déplacements de son propriétaire à cause d’un attachement excessif et d’une anxiété de séparation.

– ne pas enjamber son chien. Dans une meute de loup sauvage qu’il n’a jamais été observer qu’un loup « dominant » ne réveiller un subordonné pour qu’il libère le passage que celui-ci dorme ou non. Pourquoi en tant qu’humain devrions-nous systématiquement pousser le chien quand il est facile de faire le tour ? Faire le tour ne diminuera pas la valeur que nous avons à ses yeux. Il est également très facile d’apprendre à son chien à se pousser quand vraiment on ne peut pas passer. Mes chiennes connaissent très bien l’ordre « tu te pousses ? » et elles savent qu’elles doivent se déplacer et le font sans jamais rechigner ni moi hausser le ton.

– le chien qui s’assoie ou se couche sur nos pieds : il peut se mettre sur nos pieds car cherche du contact, de la chaleur, veut être sûr de ne pas manquer un déplacement de son maître à cause d’un attachement excessif…

– le chien qui grogne quand on s’approche de son panier est dominant ou le chien ne doit pas grogner quand on met la main dans sa gamelle : et si le chien grognait car il est stresser de manquer ? ou qu’un duel de force se met en place à chaque fois qu’on s’approche de sa gamelle ou de son panier ?

– le chien en doit pas franchir les portes en premier, les meutes de loups sauvages vivent dans la toundra ou les forêts, il y a peu de chance qu’ils rencontrent des passages étroits exigent des passages à la file indienne, cette règle découle d’observation de loup en captivité passant d’un parc à l’autre par un sas ou effectivement le passage pouvait être source de conflit car les passages précèdent en générale la récréation ou les repas.

– le chien qui tire en laisse et est devant nous est dominant : Les parents reproducteurs qui initient les déplacements et les dirigent ne sont pas forcément devant les autres. Un chien qui tire en laisse est plus un défaut d’éducation, une excitabilité lors de la sortie et une intolérance à la tension de la laisse qui va naturellement tirer de plus en plus au fur et à mesure que la tension se renforce car la tension de la laisse est source de stress. Mech a observer une traversé de rivière gelée par une meute guidée par le mâle « dominant », une partie le suit tandis que d’autre hésitant reste sur la rive, certains au milieu de la rivière fond demi-tour de peur, toute la meute et l’alpha compris a finalement choisi de faire demi-tour, c’est ici une décision coopérative.

– Ne jamais laissez son chien être à l’initiative des jeux et câlins : dans la meute tout le monde est bienveillant les uns envers les autres. N’importe quel loup peut influer sur les activités de jeu, aucun des membres de la meute ne décide seul quand une activité doit débuter et finir. De plus le jeu est une manière d’apprendre la notion de hiérarchie, la morsure inhibée, les auto-contrôles, les chiots vont apprendre à chasser, à se défendre etc….

– Ne jamais laissez son chien gagner les jeux : comme dit plus haut les parents vont apprendre à survivre à leur chiot dans les jeux, il est donc évident qu’il les laisse souvent gagner pour les renforcer dans leur apprentissage. Elli H Radinger nous décrit une scène où un mâle reproducteur qui adorait s’occuper et jouer avec ses chiots, aimait particulièrement jouer à perdre en se mettant sur le dos.

– Pour disputer son chien il faut le coucher ou le retourner sur le dos : la position sur le dos est effectivement une notion de soumission, celle-ci s’acquière dès la naissance des chiots lorsque la mère leur lèche les parties génitales pour stimuler les sphincters et leur faire faire leurs besoins qui se mettent alors sur le dos. En grandissant, les chiots vont alors adopter cette position comme une position de soumission et de demande d’arrêt de l’interaction. C’est donc bien le chien qui se met lui-même en position sur le dos pour demander l’arrêt de l’interaction et jamais le « dominant » qui va retourner le « dominé ».

Mais alors qu’est ce qui est vraiment important ?

Ce qui est important sera de se comporter comme les vrais « parents reproducteurs » avec une autorité naturelle, une cohérence et une pertinence dans l’éducation du chien qui doit nous voir comme un leader, un guide fiable en qui il peut avoir toute confiance et dont l’autorité et les choix ne seront pas remis en question. Criez, battre son chien, c’est perdre son sang-froid, le chien nous voit alors comme un mauvais leader, non stable émotionnellement et donc pas fiable. Ne pas être constant et affirmé dans ses choix ou ses règles c’est perdre du leadership aux yeux de son chien qui imposera donc ses propres choix qui l’arrangeront lui et bien souvent beaucoup moins les propriétaires. Une règle est une règle et doit être toujours respectée. Vous pourriez donnez comme panier à votre chien un coin de canapé cela n’a pas d’importance. Qu’il mange avant ou après ou qu’il soit sous la table pendant votre repas cela n’a pas d’importance non plus du moment qu’il ne vole pas dans votre assiette ou aboie tout le long de votre repas pour obtenir quelque chose.
Ce qui est également très important pour être un bon leader c’est d’avoir la confiance de votre chien, il doit savoir qu’il peut compter sur vous en cas de problème. Repousser son chien quand il a peur, l’ignorer quand il vous question face à un problème c’est ne pas être un bon leader et vous perdrez de la valeur aux yeux de votre chien.

De plus, ne nous braquons pas non plus sur des mots qui ne sont rien plus que des mots, chacun peut mettre une image différente, aujourd’hui si quelqu’un a le malheur de prononcer le mot dominant il est brûlé vif sur la place publique… Du calme !!!! Soyons pédagogue, d’abord il serait intéressant de demander ce que la personne entend par dominant puis expliquons les choses. Avec tout ce qui circule les gens sont perdues et ne savent pas forcément tout ce que vous venez de lire.

«   Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé » Antoine de St Exupéry.

Sources :

– « Alpha Status, Dominance, and Division of Labord in Wolf Packs », David Mech, 1999

– « Leadership in Wolf, Canis Lupus Packs », David Mech, 2000

– « La sagesse des loups », Elli H. Radinger, 2017 

– « Dominance, mythe ou réalite », Barry Eaton, 2008

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